La proposition de loi décryptée

Le texte de la proposition de loi déposée par Maud Olivier et Catherine Coutelle, rendu public le 10 octobre 2013, entend « renforcer la lutte
contre le système prostitutionnel » et contient 21 articles, censés chacun lutter contre la prostitution : de la lutte sur Internet, à l’éducation nonsexiste à l’école, en passant par la pénalisation des clients.

Si le texte est encore pire que ce que nous imaginions, il a toutefois le mérite d’être clair, y compris dans son intitulé : il est bien question de
« lutter contre le système prostitutionnel », soit de s’attaquer à la prostitution dans son ensemble et sous toutes ses formes. On est loin des velléités
affichées de « sauver les victimes d’exploitation sexuelle ».

L’approche répressive étant évidente et revendiquée, nous pensions toutefois que les auteurEs de la PPL enjoliveraient leur projet à coups de
promesses d’ordre social. Il n’en est rien : sous prétexte de « protéger » les travailleurSEs du sexe, ce texte ne vise qu’à rendre leurs vies
plus difficiles, en les mettant toujours plus sous la tutelle de l’État et de quelques associations abolitionnistes qui prétendent les sauver d’ellesmêmes,
en conditionnant leur aide à l’arrêt de la prostitution.

Le texte est introduit par cette célèbre citation du préambule de la Convention des Nations Unies de 1949, « La prostitution et le mal qui l’accompagne,
à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et
mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ». En choisissant cette ouverture, Mmes Olivier et Coutelle s’inscrivent
directement dans la lignée de cette convention qui, pour ne pas changer, amalgame traite, travail forcé et prostitution, au mépris des réalités
de terrain.

Sont ensuite rappelés les « constats » qui avaient été faits par la « mission d’information sur la prostitution en France » dans le rapport Geoffroy/
Bousquet d’avril 2011. Ces constats ne sont pourtant qu’une série d’affirmations aussi péremptoires qu’inexactes.
Les conclusions de ce rapport de 2011 reposent notamment sur des chiffres, toujours les mêmes et toujours aussi invérifiables [1], selon lesquels
il y aurait « 20 000 personnes prostituées en France, dont 85% sont des femmes ». Ce chiffre de 20 000 est tiré d’un rapport de l’OCRTEH et se base
sur l’activité policière, avec tous les biais que cela comporte (arrestations en priorité des travailleurSEs du sexe de rue et/ou migrantEs notamment).
Seule la prostitution visible est ainsi quantifiée.

Selon ce même rapport, la proportion de prostituées étrangères serait passée de 20% à 90% en 10 ans [2], ce qui « démontre[rait] l’emprise
croissante des réseaux de traite sur la prostitution », érigeant ainsi en principe l’amalgame entre prostituées migrantes et victimes de traite, amalgame
très utile pour justifier la résistance à l’immigration et la répression renforcée de l’immigration irrégulière. En 2010, un autre rapport, celui publié
par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, avait pourtant
mis en garde contre une telle confusion : si les migrantEs en situation irrégulière constituent un groupe particulièrement exposé à la traite et
l’exploitation (méconnaissance de leurs droits ou de comment les faire valoir, isolement, entretien par l’auteur de la peur de la police, etc.), « il estfort probable que la surreprésentation des étrangers parmi les victimes de traite ou d’exploitation soit moins l’exact reflet de la réalité que le résultat
des efforts fournis en vue d’identifier les victimes étrangères du phénomène » [3].

Enfin, le rapport de 2011 constate que des violences « particulièrement graves » sont commises sur les prostituées. En effet, les travailleurSEs
du sexe sont victimes de violences, tout comme le sont les femmes dans leur ensemble. Pour autant, les signataires de cette proposition de loi font
le choix non pas de lutter contre ces violences, qui ne leur sont pas spécifiques, mais d’encourager, voire d’imposer l’arrêt de la prostitution. Lutter
contre les violences faites aux prostituées en luttant contre la prostitution, c’est punir des femmes en pénalisant leur activité, c’est entériner
l’idée que les violences subies sont le fait de l’activité des victimes, et non celui des auteurs de ces violences. En outre, cela sera
contreproductif en plaçant dans une situation de plus grande vulnérabilité non seulement les travailleurSEs du sexe souhaitant continuer à exercer
leur activité mais aussi les victimes de travail forcé.

L’approche adoptée dans cette proposition de loi est d’autant plus incohérente que lorsque la nécessité d’abroger le délit de racolage public
est évoquée, c’est au nom de la contradiction qu’il y a à pénaliser des personnes qualifiées de victimes, de son inefficacité en termes de lutte contre
le proxénétisme et la traite à cette fin, et des difficultés rencontrées par les travailleurSEs du sexe désireuxSES de se « réinsérer » et dont le casier
judiciaire mentionne des condamnations pour racolage public. Aucune mention des conséquences désastreuses en termes de santé et de sécurité [4] !
Ce déni des conséquences sanitaires désastreuses du délit de racolage public, dénoncées et prouvées depuis des années par de très nombreuses
structures [5], facilite l’introduction d’une nouvelle mesure répressive, la pénalisation des clients, qui aura sur la santé et la sécurité des travailleurSEs
du sexe exactement les mêmes effets [6].

Télécharger le décryptage détaillé

Décryptage de la loi

[1Sur ce point, voir notamment IGAS, Prostitution : les enjeux sanitaires, Décembre 2012, pp. 18 suiv.

[2il est toujours fascinant de lire des pourcentages basés sur des chiffres erronés à la base.

[3J. Vernier, La traite et l’exploitation des êtres humains en France, Les Etudes de la CNCDH, La Documentation française, 2010, p. 25.

[4voir : « Enquête de Médecins du Monde auprès des personnes se prostituant : Violences et accès aux soins, les effets néfastes de la Loi de s »écurité intérieure » :http://www.medecinsdumonde.org/mdm/prostitution18mars/

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